Texte _ Denis Girard (février 2011)

Je sens un vertige ça tourne et j’ai peur je cherche ma montre pour l’heure. Je fige comme si j’avais perdu, une idée sur le coin d’une rue je ne sais plus très très bien l’endroit le lieu et le chemin, où suis-je? ce n’est pas ma maison cet homme, mais quel est son nom, c’est mon fils comment avais-je oublié, dans mon ventre et toutes ces années, a-t-il lui aussi des enfants? combien? sont-ils petits ou grands? C’est magique de pouvoir reparler des gens après tant d’années. Le fil de l’intimité renaît pour lui raconter ce qui est vraiment arrivé, repenser et retrouver ce qui m’avait échappé, la panique. J’ai si peur de mourir. La nuit quand va-t-elle finir j’ai d’la misère à respirer mon cœur va-t-il me lâcher cette chambre je ne la connais pas. J’entends du bruit et des pas, les portes sont-elles bien barrées va-t-on venir m’attaquer? C’est pénible j’ai mal à mes jambes, j’essaie un peu de me lever les crampes je vais m’écraser, la marchette vient de me sauver. J’ai la vie, il fait si beau aujourd’hui, la belle tranquille, la vie facile, ma fille me sert à dîner je suis comblée et rassurée encore une belle journée, je chante, elle rit, elle fait tout pour me gâter quelle chance j’ai d’être entourée je suis fière j’ai réussi ma vie. Le fil défile raconte mon destin je lui parle de ce dont je me souviens ma famille comme les doigts de ma main trois fils tous bien instruits une fille ma meilleure amie un seul homme mon amour mon mari. Parti de l’autre côté d’la vie. Hier il m’a tellement adoré, en fou durant toutes ces années il n’était pas facile à vivre mais c’était l’homme du grand livre le livre de ma belle vie, ma place est vraiment ici un vrai supplice, tous ces médicaments, le prix pour mes beaux moments. On me dit que j’ai encore vieilli mais l’âge ne m’a jamais rien dit, j’ai l’âge doux de mon cœur pourquoi est-ce que l’on meurt je suis inquiète ça m’agace et m’embête pendue au dessus de ma tête l’horloge j’ai peur qu’elle s’arrête qu’y a-t-il après la vie, et si Dieu m’avait trahie. Ne me parlez pas d’espoir il n’y a que la vie. Ah ce vertige, je tombe dans le vide un trou si grand c’est terrible personne pour me retenir je prie qu’on vienne me secourir ma chute ne va jamais finir des heures peut-être des années je cherche des yeux que je connais des vieux des jeunes des sœurs des curés. Mais il n’y a que des étrangers. Qui me sourient comme des amis, je les ai jamais vus de ma vie mais peut-être les ai-je déjà rencontrés ailleurs il y a des années je deviens folle partout tout est noir un mur de nuit quelque part je crie pas le moindre espoir personne ne m’a entendu savent-ils que j’ai disparu? ils vont venir me chercher ils vont pas me laisser tomber. Je n’ai plus mal nulle part, ça c’est pas normal un peu bizarre ça ne m’est jamais arrivé, les pilules m’ont-elles droguée, il faut attendre ne pas s’énerver et si c’était ça la mort, j’étouffe, je sens que je pars, mais non, je m’affole et j’ai tort. J’ai vraiment, vraiment peur. Tellement que c’est presqu’une douleur. Patience, je suis toujours vivante. Le vertige est là dans mon ventre.