Texte _ Denis Girard, paru dans le numéro 7 de la revue culturelle L'échancrier, Sherbrooke, 1976.

L'amour s'est fait des griffes pour tuer l'ennui.

L'amour a pris le temps de se chercher un corps.

L'amour avait perdu son cri, étouffé sous l'habitude.

L'amour avait dessiné une image, l'avait de soins, fait jaillir dans toute sa beauté, avait voulu la retenir comme une marionnette refaisant les gestes d'une découverte.

L'amour avait rejeté son nom, sali d'une nuit, où son désespoir l'avait égaré loin de lui-même. Il avait perdu foi en lui-même, il avait rejeté tous les visages, toutes les mains crispées et en caresses, tous les rêves de la solitude, tous les espoirs de chair; il avait fait le tour de l'homme.

L'amour avait quitté les têtes, les conventions, les nuits de noces, les images toutes faites, l'amour s'était fait putain pour comprendre (l'homme) les hommes.

L'amour s'était couché, drapé du déshabillé noir, la jarretelle au cou et les sourires de plâtres, des déesses de papier glacé s'étaient écroulées sous la tristesse du matin.

L'amour s'était servi à boire, avait appris à avoir soif, et de longues nuits durant, il s'enfuit de tous les lits pour divaguer, inventer une nouvelle façon qui durerait, saurait trouver sa place dans le temps et le travail.

L'amour s'était réfugié dans la tête, avait inventé une chambre de soies et de dentelles, l'odeur du savon et les premières caresses, juste au moment où le coeur n'en peut plus de désir.

L'amour prenait son temps pour bien se rêver.

L'amour avait tué ce rêve et s'en fabriquait un nouveau, chaque jour, avec le corps pour le faire éclater dans un cri.

L'amour avait fréquenté les usines, les bureaux et les cuisines.

L'amour avait eu bien des fils qu'il lui fallait nourrir, il s'était oublié pendant des années et voyait grandir celui qui saurait mieux que lui vaincre le temps.

L'amour avait délaissé ses longues attentes dans les salons des fréquentations où le corps participait du bout des doigts aux volutes de l'âme. Il s'était jeté dans la chair et les coïts successifs n'arrivaient pas à calmer sa détresse.

L'amour avait continué à chercher avec sa chair la douce étreinte. Il avait cru chaque fois la saisir, pouvoir l'habiter encore demain avec la même fièvre, la même démence.

L'amour s'était trompé bien des fois et ressemblait de plus en plus à l'homme.